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Février 2014, j’ai 14 ans, je me rends à Paris, accompagnée de ma grand mère. C’est le weekend, et elle voulait vraiment m’emmener au Parc Expo, Porte de Versailles. On allait voir L’Aiguille en Fête, première foire française de tricot, broderie, tissage etc. A l’époque, je ne faisais rien de tout ça, à part quelques canevas pour enfant, où il fallait suivre les couleurs du dessin sur la toile. Enfin bref, je suis donc arrivée à ce salon, (qui aujourd’hui je le sais a accueilli pour sa première édition plus de 50000 visiteurs), et j’ai pu y découvrir beaucoup de techniques : la peinture sur soie, le crochet, le tricot, le point de croix (technique préférée de ma grand mère). Il était important pour ma grand mère (cette même mamie dont je vous parlerai un peu plus bas) de me faire découvrir tout ça. Et suite à cette visite, tout naturellement, je me suis mise petit à petit à faire des choses avec des aiguilles. J’ai d’abord suivi ses conseils, jusqu’à mon premier ordinateur où j’ai découvert Youtube et ses tutos. Parce que oui, je suis une enfant issue d’internet, et avec du recul, je pense que ma grand mère a été tout aussi importante qu’internet pour le développement de mon goût pour la couture et le tricot. Depuis 2005, le net a véritablement fait son « coming out » de la pratique du tricot avec The World Wide Knit in Public Day. Cette journée mondiale du tricot permet aux tricoteuses et tricoteurs (certes moins nombreux mais existants) de se réunir sur ce site afin de partager leurs créations, leurs techniques, leurs préférences etc. Cette journée à lieu, depuis 2005 tous les deuxièmes samedi de juin. Ainsi la page, offre à des millions de personnes l’opportunité de mettre en ligne des photos, vidéos, patrons, avec leur géolocalisation pour partager leur passion. Ici j’ai voulu comprendre cette nouvelle vague de tricot 2.0, après le mouvement hippie, ou le mouvement punk DIY. J’ai donc discuté avec des gens, côtoyé des réseaux sociaux typiques, des blogs etc. Ces personnes sont artistes contemporains ou tricoteur.euses de métier. Ils ou elles sont aussi tricoteur.euses du dimanche, bénévoles ou bien étudiant.es.

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COUP DE COEUR

une identité visuelle attrayante

N’oublions pas que le pull est un objet issu de la mode. Il habille, il réchauffe certes, mais on le choisit pour sa matière, sa forme ou ses couleurs. Technique vernaculaire, le tricot est également utilisé dans l’Art Contemporain. Mais parler d’un pull ne revient-il pas à parler d’une œuvre ? Encore mieux, faire un pull ne revient-il pas à produire une œuvre ? Parce que parler du pull, c’est parler de matière, c’est parler de corps, mais aussi d’image que l’on porte. On peut également avoir une attache sentimentale pour un pull tout comme sur un tableau.

Une pratique vernaculaire

chauds les cœurs

Le pull est un objet de nos placards. On l’a acheté neuf, ou d’occasion dans une friperie ou dans un Emmaüs, on l’a tricoté nous même, on le tient de nos parents, notre grand frère/ grande sœur, ou encore de nos grands parents. Dans ces derniers cas, il est de seconde main, il est resté dans un cercle familial. Un pull peut durer dans le temps, et servir à plusieurs générations. C’est le cas de mon préféré, totalement difforme, à la fois jaune, rouge, vert et bleu. Ce pull tricoté par ma grand mère dans les années 70, a été porté par elle-même, mais aussi par ma mère, puis par moi. Quand ma mère me l’a donné, elle a du m’avertir d’un lavage à la main, d’un séchage à plat etc. Je vois ce pull comme un bijoux de famille, qu’on se transmet de génération en génération. Voilà deux hivers que je le porte ! Dans sa fonction première le pull réchauffe. Cependant, le pull rassure, et protège également : on « se love » dedans1 . Isabelle Adjani porte le pull de son amant au fond de la piscine, ça lui rappelle des souvenirs2 . Mais pourquoi ? Premièrement, le pull nous englobe. Et cette sensation de chaleur et très familière, familiale voire maternelle, comme dans le ventre de la mère en fait. Parfois trop grand, ou difforme il y a ce parallèle au pyjama. Lorsque le pull est plus cintré, d’une couleur qui ravit le teint, il rend élégant.e, on s’y sent bien, comme un atout charme : «T’es tout’ nue, sous ton pull, y’a la rue qu’est maboule, jolie môme»3 . Le pull peut également être fait à la main, en le portant on y arbore une fierté : « c’est moi qui l’ai fait », « j’y ai passé du temps » etc. Pernette, 22 ans, m’a parlé de son pull fétiche, qu’elle tient de sa mère : https://www.youtube.com/watch?v=CeV6GgrZqNo&feature=youtu.be

1 Ceci n’est pas un pull, Charlotte Vannier, 2017,

2 Pull Marine, Isabelle Adjani, 1983,

paroles Serge Gainsbourg.

3 Jolie Môme, Léo Férré, 1960

Merci mamie

La technique du tricot est d'abord une technique féminine, familiale et domestique apprise de mère en fille, ou de grand mère à petite fille. Avant les années 2000, le tricot s’apprend de manière très simple à la maison, dans un cercle familial. Aujourd’hui, on peut remercier les tutos Youtube, mais on y reviendra plus tard. Outre le tricot, le pull est un objet associé à la figure de la grand mère, à la mamie. Pour les jeunes, le pull homemade « mémérise », je veux dire par là que le pull, fait à la main, nous attribue des caractéristiques de mamie, de mémé. Je vais revenir sur le mot « mémérisant ». Le dictionnaire Larousse nous dit : « familier, péjoratif . Donner une allure de mémère à une femme, la vieillir. ». Je n’y vois cependant pas du tout quelque chose de péjoratif. La technique du tricot est mémérisante par son ancienneté, mais aussi par son manque de popularité dans les années 2000-2010 (le tricot = pour les mamies selon les jeunes). Freddie Robins a réalisé entre 2014 et 2016, une dizaine de pull-overs à la main : Someone Else Dream. A cette époque, recluse dans une maison à la campagne avec son compagnon, elle prône un retour aux milieux ruraux. Ainsi, avec ses pulls qui arborent un paysage de campagne, calme et serein, Freddie Robins aborde le côté « grand mère » du pull.

L’artiste utilise pour ces pulls, différentes sortes de fibres de laine (mouton, chanvre, lapin) parfois teintes à la main, à l’aide de produits naturels tels que des fleurs. Elle prône ici un retour au savoir-faire traditionnel, du cardage de la laine, mais également au tricot de nos grands mères. Dans son œuvre, l’artiste anglaise allie art et artisanat. Cette série de pull est accompagné d’un manifeste4 sur la ruralité du tricot, et appel à un retour à la nature. Elle y aborde les bienfaits d’un art plus « local » et moins « international » sur le développement économique des campagnes. Également du rêve idyllique de la maison de campagne avec jardin, deux enfants et un chien, qui stimule les idées positives, créatrices. Elle nous parle des atouts d’un paysage rural, plus naturel sur la vision de l’artiste, par la couleur, la texture etc.

4 Resistant Materials, Ben Coode Adams et Freddie Robins, The Blackwater Polytechnics, in Sluice Magazine, Autumn/Winter 2018. http://www.freddierobins.com/perch/resources/resistant-materials-1.pdf

Someone else dream, Freddie Robins, EXCHANGE BERLIN, photo par Ben Coode-Adams

Et alors, la campagne ?

Si le pull est « mémérisant », et si le tricot est une technique domestique, vernaculaire, familiale, ancestrale, il est essentiellement rural. A la création de la machine à tricoter par William Cotton en 1864, le tricot devient un hobbie, un loisir pour les plus riches, grâce à cette machine d’usage domestique5. Depuis cette période, le pull est industrialisé. Il perdra donc son unicité. Aujourd’hui, le tricot est cependant encore beaucoup transmis, notamment dans les foyers ruraux.

Aujourd’hui, le prix d’un pull industrialisé est moins cher qu’un pull fait à la main. On se retrouve avec un pull homemade ou avec un pull industriel. Cyril Aboucaya est un artiste français qui travaille et vit à Saint Ouen. Il réalise des objets en mimant une facture industrielle. Ses sources tirent vers le mémorial, le funéraire, le sacré qu’il associe à un mobilier contemporain et familial. Toujours teintées d’humour et d'ironie, ses installations abordent l’univers de la dévotion, du rituel spirituel ainsi que celui de la consommation et de l’éphémère avec un aller-retour entre personnalisation et standardisation. Avec Pull-overs pour ananas, réalisée en 2010, l’artiste fait osciller ses sculptures entre œuvres sur socles et produits en rayon donnant place à un display sous forme de boutique. Ici, l’ananas est à la fois sculpture et produit consommable avec emballage tricoté. Cet «emballage» est tricoté à la main, contrastant avec le côté industriel de la présentation, de l’accrochage. Ces 4 ananas sont posés sur une étagère, absolument de la même taille. Les emballages sont différents pour chaque ananas, ce qui en fait des produits uniques.

5 En mars 1811, a lieu les Révoltes Luddites : les tisserands britanniques se révoltèrent contre les machines, les conditions de travail et notamment, les nuisances sonores et l’infamme bruit des métiers à tisser industriels.

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Pull overs pour ananas, Cyril Aboucaya. Vue de l’installation “pompes funèbres / CONCEPT STORE”, à la galerie Intuiti.

une œuvre dans ton placard

Fabriqué initialement à la maison ou en usine pour la commercialisation, le pull pourrait être œuvre ou faire œuvre. Le pull homemade est le résultat de choix de celui ou celle qui le tricote : la couleur, la forme, la laine, les points. On pourrait parler du pull comme on parle d’une peinture. Et si en fait nos armoires devenaient un lieu d’exposition d’œuvres picturales ? Façon de parle. En clair, le vocabulaire pictural colle très bien à la peau de ces pulls.

 

un pull à l’huile

Le pull homemade arbore un choix de laine, un choix de points et de couleurs. Il est amusant de comparer le pull à certaines peintures. On pourrait très bien parler du pull comme on parlerait de peinture, avec un vocabulaire précis. Le pull peut être en effet abstrait ou figuratif. On peut y tricoter un aplat rouge sur un fond bleu ou encore une maison à la campagne. Le pull peut également être monochrome ou polychrome. Le pull arbore un véritable choix esthétique : il habille et «décore» presque. On le voit dans de nombreuses revues de tricot. On y parle composition, cercle chromatique, textures etc.

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Les différents types de laine offrent une matière picturale différente. Il y a la laine angora qui est soyeuse, filamenteuse, à poils longs, qui fera des aplats plus épais mais aussi plus lumineux. La laine cachemire, moins soyeuse cependant est similaire. La laine synthétique ou coton (celle que l’on connaît le plus) est moins lumineuse. La laine mohair est plus feutrée, et une fois tricotée, plus brouillon. Enfin la laine alpaga, plus dure et plus fine fera des couches moins épaisses.

Les différents points permettent des motifs différents directement dans la laine (et non pas par la couleur), mais aussi des textures différentes. On peut parler d’empattements si l’on utilise un point côte (en chevron par exemple), ou encore le point chenille (oblique, horizontal ou vertical). On peut parler également de touche, avec d’autres points tels que les basiques points mousses ou les points piqués (croisillons piqués).

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Patricia Roberts, designeuse textile dans les 80, a réalisé de nombreuses revues textile autour du pull et du tricot. Dans ces revues, on y voit ses pulls réalisés et portés sur des photos, mais aussi le patron et également quelques notes sur la couleur ou le point. Patricia Roberts emploi un vocabulaire pictural. Ces revues arborent des photos où les mannequins, habillé.es de divers pulls, sont positionné.es devant des sérigraphies, des peintures qui ont pu l’inspirer. Peut-être cherche t elle a y faire des parallèles ? Ici, les deux femmes portent des pulls semblant venir des sérigraphies qui sont accrochées derrière elles : mêmes formes, mêmes couleurs.

performé

Si on parle de peinture pour le pull, on pourrait également parler de performance. Le pull se porte. Il donne forme au corps, et il prend forme sur le corps. Il a une bidimensionnalité. Ce vêtement qui se porte est fonctionnel avant tout. Cependant, au vu de sa plasticité, évoquée précédemment, le pull en tant qu’objet pourrait se suffire à lui-même. Lisa Anne Auerbach, artiste américaine, travaille uniquement le tricot et le pull, sous diverses formes : édition, peinture, performance, sculpture. Nous avons pu échanger par mail sur ses différents points de vue autour de cet objet, mais aussi sur ses travaux. Lors d’un premier échange, elle a abordé cette notion de performance dans le port du pull :

Salut Carla ! Je peux te parler du port du pull déjà, c’est ce qui m’a intéressé en premier lors de mes études. D’un point de vue sociologique, il y a ce choix de couleur, de forme. Un peu comme quand un enfant dessine : il choisit ses couleurs, souvent les mêmes, puis ses motifs, puis ce dessin fini accroché dans la chambre ou sur un frigo. Disant un peu qu’ici c’est chez lui, moi je suis comme ça ! Bon je suis un peu radicale là, mais tu me comprends. En poussant dans mes études après, en produisant, en faisant des pulls que je voyais à la fois accroché à un mur comme une peinture ou encore porté comme un défilé ou une performance, je me suis intéressée au pull et à sa bidimensionnalité. D’un point de vue plus design, le corps offre au pull une forme, et inversement, le pull habille. Au cours de mes études, je m’intéressais pas mal à la psychologie, et je voyais le pull comme une projection de soi-même, j’imaginais des performances, où je portais le pull de quelqu’un ou au contraire un pull que j’avais tricoté. J’ai également filmé des gens dans la rue en prenant des notes : « Oh ce pull montagne là c’est un vieux gars » ou encore « oh elle a un pull cachemire bleu marine, elle a à la fois pas envie de nous en dire beaucoup, et à la fois elle montre quelque chose ». Enfin tout ça c’était encore des recherches. Tu as d’autres questions ? À bientôt

Lisa

(traduit de l’anglais)

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Il y a par exemple des concours de pull moche, et c’est le cas à Rennes. Ouest France en fait chaque année un très bel article6 ! Ici le pull est montré, c’est un défilé. Celui qui l’a fait le porte et se montre autant que le pull qu’il s’est tricoté. Les candidats y participent en famille et défilent avec une grande fierté ! Pulls « Dumbo », « Star Wars » , ils reprennent le plus souvent des icônes de la culture populaire.

Exposé

Aujourd’hui, avec internet, le pull s’expose. L’internaute tricote son pull, poste à la fois sa fabrication et son résultat final. Sur Instagram, on expose les pulls que l’on tricote, comme une galerie. Ainsi, la tricoteuse ou le tricoteur, sort de son coin, rend sa pratique publique. J’ai rencontré Jeanne, jeune tricoteuse de 23 ans qui utilise Instagram pour promouvoir ses pulls, bonnets et autres objets issus du tricot.

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!!!!!!!!!!!!!!! REBELLION

le pull une pancarte à manif

Si le pull peut donc se plaire dans un décor artistique, il peut tout aussi bien être déplacé dans un contexte plus politique. Et si le pull était une pancarte à manifestations ? Par son histoire , depuis Platon (en passant par la Révolution française, jusqu’à aujourd’hui), ses détournements que ce soit dans l’Art Contemporain, le cinéma (on adore le nanar Wanted7 ), le pull a des secrets qu’il cache dans sa maille. Il a même des revendications !

des messages cachés dans la maille

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utilisation d’un objet populaire pour faire passer un message politique.

Platon concevait le rôle du politique comme celui du tisserand8 . Ce dernier, assemble des fils pour confectionner un tissu. Pour Platon, le politique assemble des fils hétérogènes afin de confectionner un tissu social. Les mailles une fois réunies font le pull, et dans cette maille, il peut y avoir un message caché, à diffuser à une personne, une communauté en particulier. Charles Dickens dans son roman Le conte des deux cités, publié en feuilleton dans sa propre revue All The Year Round entre avril et novembre 1859, imagine une tricoteuse cachant des messages politiques dans la maille. L’intrigue se passe en 1977. La France et l’Angleterre traversent alors une période de rébellions et de soulèvements sociaux venants de la Révolution Française. Par ailleurs, le terme « tricoteuse » est utilisé pour désigner toutes les femmes ayant participé aux mouvements revendicatifs en France entre 1789 à 1795. Ces femmes participaient aux séances du Tribunal Révolutionnaire de la Convention Nationale, tout en tricotant. Le fait de tricoter cachait en quelque sorte leur désir d’émancipation de leur condition de femme.

Le pull a aussi été fabriqué par des pécheurs pour survivre en mer. Tricotés par des hommes, ces pulls que l’on appelle aujourd’hui « pull irlandais » arboraient différents motifs et différentes couleurs, choisis par les pêcheurs eux-mêmes. Ça se passait donc en Irlande, au début du XXeme siècle. Dans un contexte de guerre civile, aux environs de 1922, les pulls montraient une appartenance politique. Les marins pêcheurs, qui tricotaient alors eux-eux-mêmes leurs pulls (la technique du tricot étant proche de celle du maillage de filet) choisissaient des motifs en fonction de leur famille, de leur appartenance politique. Ainsi, lorsque le pêcheur mourrait en mer, il était facile de reconnaitre à quelle famille il appartenait, puisque les motifs de son pull remplaçait une sorte de blason.

Quelques idées ici de motifs : les petits traits en diagonale représentaient les côtes déchiquetées par la guerre ; les alvéoles de couleurs claires, symbole de la ruche et donc du travail représentaient la dureté du métier et la volonté de travailler moins; Les torsades représentaient le cordage du bateau mais surtout donnaient plus de chance; les losanges représentaient les mailles du filet dont la technique de fabrication est proche du tricot.

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photos : Laurent Lecat, galerie Edouard Manet + David Giancatarina, [mac] Marseille

Avec son installation D’octobre à février, datant de 2010, Julien Prévieux aborde ces messages cachés dans la maille du pull. L’artiste à demandé à un groupe de tricoteuses, de réaliser ces pièces en suivant un modèle informatique qui simule les phénomènes sociaux (ségrégation, rébellions, manifestations). Ici, 5 pulls représentent des formes de ségrégation des ouvrier.es dans des usines en France et les 5 autres représentent les manifestations des ouvrier. es français.es. L’artiste transforme ici un objet du quotidien en système de visualisation très pointu, mais remet son utilisation (durant la Révolution) au goût du jour. Il mixe également deux temporalités de l’iconographie de la révolution : le pull à part entière par le geste du tricot avec ses points et motifs, et les logiciels informatiques pointus utilisant la couleur ou le pixel sur une map 2.0.

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Aujourd’hui, dans un contexte de manifestation, le pull comme porteur de message, par son symbole et son histoire, continue d’être utilisé. En effet, Geneviève Legay, militante Gilet Jaune, blessée lors d’une manifestation le 23 mars 2019 a été beaucoup médiatisée pour avoir tricoté un gilet jaune lors de son hospitalisation pour ensuite l’envoyer à Emmanuel Macron9 . Ici, Geneviève Legay souligne le rapport ouvrier au politique. Son acte ouvre sur la notion de travail. De plus, elle met en parallèle la technique ancestrale ouvrière et aujourd’hui domestique du tricot avec un sujet d’actualité de manifestation et de grève des Gilets Jaunes.

pull punk identité punk?

esthetique punk

 Les années 80, marquent le retour du pull ample, trop grand, troué. On a en tête le pull col roulé vert grisonnant de Gaston Lagaffe. Les années 80, c’est l’arrivée du punk, de la culture punk. Mais qu’est ce que c’est « l’esthétique punk » ? Le pull ici n’est pas réalisé à la main, il est récupéré, de seconde main. Le pull punk est donc souvent usé, troué, détendu, décoloré, effiloché. L’esthétique, ou plutôt le look punk est en fait une provocation anticapitaliste. Plutôt récupérer que d’acheter neuf. En découle alors la culture DIY, le faire soi-même qui revient en force depuis le mouvement hippy 10 ans avant. Lisa Anne Auerbach, précédemment citée vient de cette culture punk. C’est pour cela que son approche du pull est beaucoup moins « féminine », et plus punk. Elle a en 2015 réalisé un fanzine : Knotty10 . Elle met en parallèle des images tirées de revues de tricot, avec des images tirées de revues BDSM. Elle m’a écrit à ce sujet :

7 Wanted, film de Timur Bekmanbetov en 2008.

8 Le Politique, Platon, Flammarion, 2003.

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10 http://lisaanneauerbach.com/knotty Knotty, impression numérique, 2015

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Oui ! Je suis depuis les années 80 très impliquée dans le mouvement punk ! Pendant mon cursus universitaire j’ai intégré ça à fond dans ma pratique. Je trouve ça amusant ce regard, ce point de vue très féminin que beaucoup ont de la pratique du tricot. Moi je l’imaginais plus punk. C’est vrai cette culture DIY que j’ai accroché dans les années 80, j’ai voulu m’en servir. En plus j’ai pas appris à tricoter par ma grand mère non ! Faire son pull soi-même c’est économique et c’est aussi la certitude d’avoir son style à soi, un look unique et j’adorais ça ! Quand j’ai commencé à intégrer le pull et le tricot dans ma pratique j’avais envie de montrer une vision plus politique du pull, moins domestiquée, moins hobbie. Avec Knotty, ça m’a beaucoup amusé de confronter deux types d’images ! Un peu à la manière de Patricia Roberts dont tu m’as parlé là ! Ici c’est confronter deux communautés, deux univers, deux milieux. Il y a d’un côté des images un peu « culcul », de familles dites parfaites des année s 80 ahah et de l’autre des images plus trash que certainement les pères de familles regardaient en cachette ahaha ! Et puis ce fil de laine (ou de latex) qui traverse ces deux univers je trouve ça très beau tu vois !:)

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comme des fanzines punk faits maison

Lors de la première campagne de Barack Obama en 2008, Lisa Anne Auerbach a adapté ses habituels « pulls pancartes » à slogans, en faveur du candidat démocrate. Ces pulls sont tous uniques et sont distribués et portés dans la rue par n’importe qui. Le pull est également tricoté à la main par l’artiste elle-même : faible coût et rapidité de production. Ça ressemble beaucoup au fanzine punk distribué dès les années 80, où le but était d’imprimer un message à moindre cout pour le distribuer en masse.

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TOP DES CHARTS

2020 le pull à la mode

On entend parler du pull depuis belle lurette. Si dans les années 2000, on l’achetait industrialisé, aujourd’hui sonne le retour du homemade et du DIY. La laine en est contente. Le tricot est aujourd’hui une technique très répendue surtout chez les employés, les professions intermédiaires, les femmes aux foyers, étudiants, retraités, ou autre inactifs. Avec un confinement de presque 2 mois, on a vu un retour des pratiques vernaculaires, pour passer le temps pendant cette période de Slowlife, c’est à dire un ralentissement de notre rythme de vie, avec du temps pour soi et l’appréciation de choses simples. Je pense alors à la chaîne TV norvégienne NRK, qui en 2013 a lancé une émission « Slow TV ». Entre 10h de feu de cheminée et une croisière de 134h, les norvégiens ont pu y voir pendant 8h, des mains tricoter, sans interruptions : comme un marathon.

apprendre à faire soi-même à la maison

enjeux écologiques

Aujourd’hui on entend beaucoup parler de collapsologie. Les enjeux écologiques sont beaucoup abordés dans les médias. Prenons l’exemple de Greta Thundberg, qui est beaucoup médiatisée surtout sur les réseaux sociaux. On parle alors d’une société qui s’effondre à cause du réchauffement climatique lié à la pollution, à la surconsommation etc. Des solutions sont possibles, on nous parle de vie quotidienne « zéro déchet », de « seconde main », de bio et de recyclage. On favorisera le cycle court en achetant directement au producteur ou en faisant un potager. C’est en effet le retour du DIY. Aujourd’hui, on voit de plus en plus de page Facebook, de blog, de chaîne Youtube, qui nous explique comment réparer, transformer ou même fabriquer des objets nous-même, afin d’éviter de jeter et de racheter et de reproduire en masse. Aujourd’hui est un retour aux années 70, au mouvement Hippie. Le livre Savoir Vivre de Jean Jacques Massacrier11 est ressorti d’ailleurs aux éditions du Devin, tel qu’il était sorti en 1970. Ce livre est au goût du jour. De nombreux articles parlent d’une nouvelle communauté qui s’inquiète de ce futur écologique et qui cherche des solutions. Ces gens viennent de milieux ruraux comme de milieux urbains. À leur échelle ils vivent en autarcie dans des villages isolés, ou encore montent un jardin partagé en pleine ville

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Je suis allée à la rencontre d’un groupe de femmes à la retraite, dont fait partie ma grand mère, habitant à Lourdoueix St Pierre, en Creuse. Ces 6 femmes, âgées entre 68 et 76 ans récupèrent des pulls que les gens ne veulent plus afin de les tricoter. Une fois la laine récupérée, elles traficotent des carrés de 10x10cm qui finissent assemblés pour en faire des couvertures. Ces couvertures sont ensuite données à une association qui vient en aide aux SDF. J’ai pu passer un après-midi à détricoter des pulls avec Jeanine (ma grand mère, âgée de 72 ans et Marie âgée de 78 ans), membre de cette association : Entre’aide.

Elles se réunissent trois fois par semaine et chacune a un rôle ! Deux s’occupent de trier les pulls reçus, et d’en trouver également. Deux autres s’occupent du détricotage, et les deux dernières à l’assemblage des carrés. Toutes les 6 tricotent sur leur temps libre. « Oui ça me passe le temps de tricoter ces petits carrés, mon mari est toujours devant la télé alors je tricote à côté de lui ». Une autre m’a dit « moi ça me rend utile, j’aime bien ! J’ai 72 ans, des petits enfants mais c’est bien je trouve d’aider ailleurs, d’aller plus loin que juste leur faire un pull pour noël ! »12

le tuto youtube

Les années 2000 ont vu naître sur internet de nombreux forums, blogs, réseaux sociaux, ou plateformes de monstration par la vidéo par exemple. Le site internet Raverly.com13 a vu le jour en 2007. Il proposait et propose toujours un rassemblement de tricoteuses, brodeuses, crocheteuses dans toutes les régions du monde. Aujourd’hui, il rassemble environ 1 063 000 internautes. Les femmes ont utilisé les médias ou outils de communication pour construire un réseau de soutient et trouver un accès à l’espace public14 . Avant internet, ce fut la presse, les revues comme Mode et Travaux ou les revues ou livres d'Elizabeth Zimmermann dont Knitting without Tears puis la télévision et maintenant internet ! Si internet aujourd’hui popularise et transforme l’ampleur des tendances toutes confondues, il en est de même pour le tricot ! Youtube propose énormément de vidéos tuto de tricot de pull, déstinées à des amateurs. C’est le cas de cette youtubeuse, d’une vingtaine d’année. Elle s’appelle Jeanelle, et sa chaine Youtube: Les Triconautes. Elle a commencé a tricoter à 18 ans, en première année d’étude grâce à internet. Elle a ensuite monté un blog : Les Estudiantines. Elle a véritablement créé une communauté de tricot 2.0 en rassemblant presque 100 000 visiteurs. La plateforme vidéo Youtube est une véritable source pour qui voudrait apprendre à tricoter des points piqués croisillons par exemple. Patrice Flichy , s’intéresse au rôle d’Internet sur notre société. Il est l’auteur du livre Le Sacre de l’amateur, sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique, parut aux éditions du Seuil en 2010. Il y parle d’amateurisme, et surtout comment Internet met les amateurs sur le devant de la scène grâce aux vidéos Youtube et aux blogs. 5% des internautes français, en 2010, ont déjà publié une vidéo sur la plateforme. Chaque jour, 65000 nouvelles vidéos sont postées et on compte 80% de homevidéo. Qu’est ce que les homevidéo ? C’est en fait le même principe que le pull homemade , une homevidéo, c’est une vidéo faite à la maison, à la main, sans professionnel. Youtube a été et est toujours le site internet du DIY. Le savoir ici, circule autrement. Entre amateurs, il se partage, se troque contre d’autres savoirs. Le web est participatif. L’internaute n’est pas seulement l’explorateur à la recherche d’informations, il contribue également à son évolution en créant des contenus.

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L’amateur devient alors boulanger, plombier, musicien, artiste. Il apprend sur ces tutos et se place comme «presque-professionnel» dans la société. Avec le boom des réseaux sociaux en 2010, les travaux d’amateurs ont pu «buzzer». Des quidams, c’est-à-dire des personnes inconnues, impossible à nommer, ont pu sortir de l’ombre. Ainsi, Sam Barsky, amateur de tricot depuis tout petit, s’est mis à tricoter des pulls représentant des paysages touristiques. Sam Barsky est une star d’internet aux États Unis, devenu artiste grâce à ses photos Instagram. Depuis 1999, il a réalisé une série de pulls à la main qui reprennent des paysages touristiques connus. Il s’est par la suite photographié devant chacun de ces paysages en portant les pulls correspondants. Ces pulls ont été reconnus comme art par de nombreuses galeries new-yorkaises. Cet amateur de tricot a tricoté des pulls comme certains peintres ont peint des paysages, ou comme un photographe prend une photo. La connivence ici entre tricot et peinture est bel et bien présente. De plus, le pull est à la fois objet fonctionnel, porté sur une photo de vacances (photo prise par l’amateur). Le pull est également une peinture, une image, travaillée par l’artiste. La dualité de ces notions marque un enjeu sur la domesticité de l’œuvre d’art, l’amateurisme et la culture DIY. Sam Barsky a appris le tricot par le biais d’une amie, à la maison. On compte en France, ¼ d’artistes autodidactes, c’est à dire qui ne sont pas passés par une école supérieure type les Beaux Arts.

11 Savoir revivre, Jacques Massacrier, Éditions du Devin, 2010.

12 Enregistrements éffectués

à Entr’aide

13 https://www.ravelry.com/account/login 

 

14 se faire entendre dans l’espace public, Sonia Livingstone et Peter Lunt, 1994 https://www.persee.fr/doc/reso_0751-7971_1994_num_12_63_2435

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Ceci n’est pas un pull, Charlotte Vannier, 2017, éditions Pyramyd, 2350174107.

Le Politique, Platon, Flammarion, 2003

Le Sacre de l’amateur, Patrice Flichy, Paris, Éditions du Seuil, 2010, 978-2-02-103144-7

Savoir revivre, Jacques Massacrier, Éditions du Devin, 2010.

L’ordinaire d’Internet, Olivier Martin et Eric Dagiral, Armand Colin, 2016 pp37 à 57.

Resistant Materials, Ben Coode Adams et Freddie Robins, The Polytechnics, in Sluice Magazine, Autumn/ Winter 2018. http://www.freddierobins.com/perch/resources/resistant-materials-1.pdf

Se faire entendre dans l’espace public, Sonia Livingstone et Peter Lunt, 1994 https://www.persee.fr/doc/ reso_0751-7971_1994_num_12_63_2435 à l’origine : Women’s voices in the public spere : gendered television and the citizen viewer.

Article Ouest France, 08/12/2019 https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/besse-sur-braye-72310/une-famille-sarthoise-championne-du-monde-du-pull-moche-6643925

Mode et Travaux, magazine féminin mensuel depuis novembre 1919 publié par Mandadori France.

Vêtements/Etrusques, Liza Robertson, dans : The Blue One Comes in Black, Liz Magor, Triangle France, pp137 -140

Les Textiles, Hugues Jacquet, Actes Sud, collection Savoir & Faire, octobre 2020

 

Les triconautes, chaine Youtube https://www.youtube.com/channel/UCky-StRH2uqPb427ESV7wCw et son site internet https://www.lestriconautes.com/

Le Phénomène des Tutos, Béatrice Guillier, 15/06/2016.

Dossier Société sur Geneviève Legay, France Bleu, 11/07/2019 https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/la-militante-d-attac-genevieve-legay-envoie-un-gilets-jaune-tricote-a-emmanuel-macron-1562840110

site de Lisa Anne Auerbach http://lisaanneauerbach.com/

https://www.ravelry.com/account/login réseau social, plateforme de partage mondiale sur le tricot depuis 2007.

https://crennjulie.com/2020/11/03/publication-les-textiles-actes-sud/?fbclid=IwAR2-dQ5HLywENNcowpTZzJm6FrJE-Ekhd58saFSx5q2mhkYiMnflSfsPgdw

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J’ai depuis le début d’écriture de ce mémoire, commencé la réalisation d’un pull qui pouvait accompagner ou plutôt alterner les temps devant mon ordinateur. Afin de choisir une forme, je suis partie de différents patrons que j’ai pu trouver à la fois sur Internet (Ravelry), ou dans des vieilles revues que j’ai trouvé chez ma grand mère, ou sur internet, pour mes recherches. J’ai ensuite revu le point côte basique et je me suis lancée, avec des pelotes de laine que j’ai récupéré dans une recyclerie à Rennes. Le voici.

bibliographie/sitographie

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